«Combien de fois pouvons-nous être surpris par la même surprise?» (Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Nous ne ferons pas de sémantique aujourd’hui, mais disons que les dirigeants du Fairmont Le Reine Elizabeth ne peuvent pas faire croire à la population qu’ils sont surpris par la grève qui les a touchés la fin de semaine dernière. Ils peuvent nous prendre pour des valises. Ils peuvent tenter de dépeindre le syndicat comme une entité qui négocie de mauvaise foi. Mais, en aucun temps, ils ne peuvent se permettre d’être surpris du trou qu’ils ont eux-mêmes creusé. À moins, bien évidemment, de nous mentir.
Si vous suivez le moindrement l’actualité, vous saviez que ça brasse dans le secteur de l’hôtellerie. Peut-être n’êtes-vous pas un admirateur d’événement sportif, mais si vous habitez L’Île-Bizard, vous n’étiez aucunement surpris par le bordel qu’a occasionné le flot de circulation des derniers jours. Déçus, choqués, et pris en otage: oui. Mais pas surpris.
Pour être surpris, encore faut-il que la chose nous surprenne!
Pour être surpris, encore faut-il ne pas s’y attendre!
Bien évidemment, si vous ignorez un problème, ou si vous n’êtes pas au courant des tenants et aboutissants d’un conflit ou d’une problématique, ou bien, si vous ne connaissez rien du sujet, il n’est pas surprenant que vous soyez surpris. Mais dans les faits, l’êtes-vous vraiment ou bien êtes-vous simplement stupéfait ou pris de court par les réactions, par les conséquences, par l’ampleur, et par ce que rapportent les médias?
Nous ne connaissons pas tout. Nous ne pouvons pas nous intéresser à tout. Nous ne pouvons pas avoir une opinion sur tout. De ce fait, nous nous en remettons aux médias. Nous nous en remettons aux experts. Par la suite, nous nous faisons une tête sur ce qui nous est rapporté et sur ce que nous comprenons; à partir des liens que nous faisons; et nous nous faisons critiques à partir de nos interprétations.
La surprise vient de notre ignorance. La surprise vient lorsque nous constatons que quelque chose est contraire à ce que nous croyions, peut-être à tort, et qui nous choque.
Je ne vous ferai pas un cours sur le droit du travail, mais pour m’assurer que nous parlons tous de la même chose et pour m’assurer que nous ayons tous les mêmes bases, je vous dirais que le droit de grève permet à tout groupe de salariés syndiqués de cesser collectivement, et de façon concertée, sa prestation de travail pour exercer une pression sur l’employeur afin qu’il accepte les revendications syndicales, dans le cadre de la négociation d’une convention collective. Par ailleurs, la grève est interdite pendant la durée de la convention collective et tant que le droit d’y recourir n’est pas acquis. Les employeurs ayant des employés syndiqués le savent, et je ne vous surprendrai pas en vous disant que les syndicats et employés syndiqués sont au fait de cette règle.
Les articles 58 et 58.1 du Code du travail encadrent le droit de grève des employeurs et les syndicats pour éviter toutes mauvaises surprises. En effet, le droit à la grève est acquis 90 jours après la réception, par son destinataire, de l’avis qui lui a été signifié. La partie qui déclare une grève doit informer, par écrit, le ministre dans les quarante-huit heures qui suivent la déclaration de la grève, et indiquer le nombre de salariés compris dans l’unité de négociation concernée.
Sans contrat de travail depuis plus de deux ans, c’est lors de l’assemblée générale du 2 juillet que les travailleuses et les travailleurs ont voté pour un mandat de grève de 120 heures, dont une journée de grève coordonnée à travers le Québec. C’est dans ce contexte que les six cents travailleurs de l’hôtel Reine Elizabeth se sont dotés d’un nouveau mandat de grève pouvant aller jusqu’à la grève générale illimitée. Le mandat, voté et adopté à la hauteur de 95% par les membres du syndicat et pouvant être utilisé au moment jugé opportun était connu par l’employeur. Après avoir déclenché une série de grèves et une journée de grève nationale aux côtés des autres syndicats de l’hôtellerie, le syndicat espérait, à tort, que la menace d’une grève de plus grande envergure ferait débloquer les négociations avec l’employeur. Après la journée de grève nationale tenue par 23 syndicats affiliés à la CSN le 8 août dernier, le syndicat du Reine Elizabeth a déclenché une succession de grèves les 10-11-12 août dernier.
L’employeur en avait été informé, donc encore une fois, aucune surprise de leur côté.
À la suite de vingt-quatre séances de négociation infructueuse, les employés de l’hôtel Le Reine Élizabeth, qui était l’hôte de la Coupe des Présidents 2024, ont déclenché une grève de sept jours, afin de faire pression sur l’employeur pour faire avancer les négociations. La direction du Reine Elizabeth a eu maintes occasions d’éviter ce conflit, mais tout porte à croire qu’elle croyait que le syndicat bluffait ou espérerait que la population leur en tiendrait rancune.
L’employeur en avait été informé de ces sept jours de grève, donc encore une fois, aucune surprise de leur côté.
Ce n’est pas la première fois que les employés du Reine Elizabeth «surprennent» leur employeur avec une grève, puisqu’un moyen de pression similaire avait notamment été déployé le 28 juillet dernier en compagnie des hôtels Marriott Château Champlain et Bonaventure.
Combien de fois pouvons-nous être surpris par la même surprise?
L’employeur pouvait peut-être ne pas y croire, mais il ne pouvait pas être surpris tout comme les employés syndicats et la CSN. La population et les clients en sont informés depuis plusieurs mois. S’ils avaient décidé d’ignorer les avertissements et les ultimatums, nous parlons plutôt d’aveuglement volontaire ou d’ignorance et non de surprise. Les seules personnes réellement surprises par ce conflit québécois sont les golfeurs américains et européens qui ont subi les conséquences de la grève et qui ont été surpris de constater que cette année, il n’y avait pas que des cônes orange dans les rues de Montréal.
Le merveilleux monde du travail est rempli de surprises et d’éléments surprenants.