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Devrais-je déclarer un accident dont je ne suis pas responsable?

Charles Poulin|Publié le 18 Décembre 2023

Devrais-je déclarer un accident dont je ne suis pas responsable?

Vaut mieux réfléchir à tous les points exposés ci-dessous avant d’accepter l’offre du voisin. Question de ne pas être à côté de la track, qu’on soit à pied, en cheval ou en Cadillac... (Photo: 123RF)

Vos finances personnelles vous font faire de l’insomnie? Avec notre rubrique ARGENT CONTENT, notre journaliste spécialisé en finances personnelles, Charles Poulin, cherche les réponses pour vous gratuitement!

«Ma voisine a sérieusement endommagé l’aile avant de ma voiture en garant son véhicule dans le stationnement de notre immeuble. Son conjoint me propose de payer la réparation, car il veut préserver son dossier de conduite. Il me propose également de faire faire la réparation chez un garagiste qu’il connaît. Devrais-je dire oui? Si j’accepte, je m’expose à quoi exactement?»
— Paul

Bienvenue à ARGENT CONTENT, la chronique finances perso des Affaires où je tenterai de répondre à vos questions en toute confidentialité… avec mes 450 000 lecteurs!

(Merci à François Pérusse pour l’inspiration. Ne vous inquiétez pas, je ne crierai pas « MONA! » dans mes chroniques. Sauf si vous me demandez si «un skidoo, on peut-tu laisser ça dans la cour», qui est par ailleurs une excellente question concernant la dépréciation d’actifs. Yiiiiiish.)

Mais bon, retournons à nos moutons.

Cher Paul, j’ai jadis été propriétaire d’une Chevrolet Impala qui possédait deux supers pouvoirs. Le premier était la séparation des voies sur l’autoroute. Les autres conducteurs réduisaient soudainement leur vitesse et se rangeaient à droite en voyant ma blanche voiture s’approcher avant de me pousser au derrière après avoir compris que je n’étais pas policier.

Le second superpouvoir était celui d’un aimant pour les autres voitures. Un photographe du journal où je travaillais à l’époque m’a même foncé dedans juste en face de l’édifice dudit journal (n’ayez pas pitié de lui, le boss lui payait la voiture et les assurances alors il n’a pas payé un clou et a eu un char neuf. Moi par contre, perte totale et bonjour l’augmentation de mes assurances!).

Ce qui fait qu’à cette époque, ma facture d’assurance auto montait à (tenez-vous bien) 3500$ par année. Et je parle ici de 20 ans avant la pandémie et l’inflation à 8%. Donc près de 300$ par mois pour l’assurance et seulement 200$ de paiements de voiture…

Tout ça pour dire que je comprends parfaitement une personne, comme Paul, qui songe sérieusement à se soustraire d’une déclaration à son assurance qui ferait ENCORE exploser sa prime. Mais bon, je n’ai jamais eu le courage (ou l’étourderie) de le faire.

Les curés québécois des années prérévolution tranquille comprenaient eux aussi très bien cette tentation. «Il est grand, le péché de la cha(i)r»…

 

Code civil

Cela dit, avant de nous plonger dans l’argumentaire pour savoir si c’est mieux de tout dire ou d’en cacher un bout à son assureur, sachez que l’article 2408 du Code civil du Québec indique que l’assuré «est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter».

Notez qu’il s’agit ici du Code civil et non criminel. Les conséquences d’une omission de Paul ne seraient donc pas criminelles, et il n’aurait donc pas à chanter Les portes du pénitencier pendant plusieurs jours/semaines/années pour avoir décidé de garder son assureur dans le noir à propos du virage trop large de sa voisine.

«Ce n’est pas de la nature d’une fausse réclamation, précise le président de l’Association pour la protection des automobilistes, Georges Iny. Ce n’est pas comme si je prenais une entente pour faire voler ma voiture pour arrêter d’effectuer les paiements.»

Par contre, sur son site web, la Chambre de l’assurance de dommage indique que si l’assureur peut prouver que l’assuré «a omis volontairement de déclarer des éléments importants, qui auraient dû être portés à sa connaissance, il peut refuser d’indemniser l’assuré ou invoquer la nullité du contrat — qui est alors considéré comme n’ayant jamais existé — et rembourser les primes reçues en regard du contrat».

Disons simplement que se trouver un nouvel assureur pourrait s’avérer ardu par la suite. Et, surtout, plutôt coûteux.

 

Déclarer sans réclamer

Paul pourrait toutefois choisir de déclarer l’accident à son assureur, sans toutefois faire de réclamation pour l’accident et prendre l’offre de son voisin de payer pour la réparation, souligne la responsable des affaires techniques et du centre d’information sur les assurances du Bureau d’assurance du Canada (BAC), Line Crevier.

«On reçoit souvent des appels de gens qui ont pris des ententes à l’amiable, raconte-t-elle. Le responsable avait dit qu’il ne réclamerait pas, mais décide finalement de réclamer tout de même. Pour la personne qui espérait que l’incident n’apparaisse pas à son dossier, c’est raté.»

Donc, si le voisin réclame, Paul aurait également tout avantage de déclarer l’accident à son assureur pour faire inscrire qu’il n’est pas responsable, ajoute Line Crevier.

«Ce n’est pas l’assureur de l’autre personne qui va aller l’inscrire, tranche-t-elle. Et dans le doute, l’assureur pourrait penser qu’il est responsable parce qu’il n’a pas réclamé. Ce qui a des conséquences sur nos primes dans le futur.»

 

Pas de responsable = pas de hausse de prime? 

Sans avoir fait de sondage scientifique, je peux affirmer que la «peur de voir sa prime augmenter» est la réponse la plus populaire à l’émission La Guerre des clans à la question «pourquoi ne pas déclarer un accrochage».

Normalement, le fait de ne pas être responsable ET de ne pas réclamer ne devrait pas faire grimper votre prime d’assurance, note Line Crevier. Mais…

«Non, un accident non responsable en général n’a pas d’incidence. Mais si vous en avez cinq… c’est possible que oui. Les primes sont établies par chaque assureur. Vous pourriez perdre un rabais, par exemple, pour n’avoir eu aucun accident.»

De l’autre côté de la clôture, Georges Iny soutient que si en théorie ne pas réclamer pour un accident ne fait pas grossir le montant de la prime d’assurance, en pratique, c’est souvent traité comme une réclamation.

«C’est comme les réclamations pour les pare-brise, souligne-t-il. Il y a des gens qui comprennent que c’est mieux de ne pas en faire trop, même si ce n’est pas une faute. Trois réclamations pour un pare-brise, ce n’est pas bon pour votre dossier.»

Et comme nous sommes dans une période où les primes montent beaucoup, et dans ce type de marché, Georges Iny avoue que plusieurs préfèrent conserver leur dossier d’assurance vierge.

 

Franchise

Autre détail à considérer: le montant de votre franchise.

Dans le cas de Paul, il est fort à parier qu’on parle de travaux cosmétiques somme toute mineurs (on suppose que la voisine n’est pas entrée à 100 km/h dans le stationnement).

«C’est moins que votre franchise, pourquoi le déclarer?, laisse tomber Georges Iny. Dans le cas de petits dommages qu’un carrossier devrait généralement être capable d’évaluer à l’œil. Ces réparations sont habituellement inférieures à 1000$ et rarement plus de 3000$. Ce n’est pas bon pour le dossier de l’auto d’avoir trop de petites réclamations et de toute façon, vous ne recevrez rien de votre assureur.»

 

À pied ou en voiture?

Une autre question que Paul veut peut-être se poser: veut-il se promener à pied ou en voiture pendant que son véhicule se fait réparer?

«Comme la personne n’est pas responsable de l’accident, est-ce que le fautif va lui payer ses frais pour se louer un véhicule pendant que le sien sera en réparation?, se demande Line Crevier. Quand on n’est pas responsable, d’emblée, notre assureur couvre les frais de déplacement, qu’on ait un avenant ou pas.»

Ça peut être plus simple pour quelqu’un qui a facilement accès au transport en commun pour le travail et les emplettes quotidiennes, moins pour la personne qui demeure à Montebello et qui fait la navette tous les jours à Gatineau pour son emploi.

Si Paul décide de confier la réparation à son voisin, il devra se demander s’il lui coûtera plus cher de se déplacer pendant quelques jours sans sa voiture ou de réclamer à son assureur.

(Je dis quelques jours, mais attachez vos tuques avec de la broche pour obtenir un rendez-vous pour faire réparer votre voiture: certains carrossiers disent à leurs clients que si la voiture roule encore, ils devront patienter parce que la liste d’attente est longue de plusieurs mois.)

Deux autres facteurs devraient aussi entrer en considération avant de décider si l’offre du voisin est suffisamment alléchante au point de vue monétaire pour éviter de parler de l’accrochage à son assureur.

«Il faut que la réparation tienne compte des protections de la personne, mentionne Line Crevier. Par exemple, l’avenant valeur à neuf qui permet d’obtenir des pièces neuves pour les réparations et où l’assureur paye 100% de la pièce et de la réparation. La personne se prive de cet avenant s’il prend une entente à l’amiable.»

Et si la voiture de Paul est louée, le locateur fait une inspection lors de la remise du véhicule, à la fin du contrat.

«Si la voiture n’est pas réparée adéquatement, ça pourrait occasionner des frais supplémentaires», rappelle Line Crevier.

Vaut ainsi mieux réfléchir à tous ces points avant d’accepter l’offre du voisin. Question de ne pas être à côté de la track, qu’on soit à pied, en cheval ou en Cadillac…

 

Ne perdez plus le sommeil et envoyez vos questions de finances personnelles à Charles Poulin: charles.poulin@groupecontex.ca