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La microculture, un couteau à double tranchant

Catherine Charron|Édition de la mi‑septembre 2024

La microculture, un couteau à double tranchant

les microcultures permettent une collaboration plus authentique entre les membres et contribuent à les mobiliser, elles peuvent également créer une fracture organisationnelle si elles diffèrent trop l’une de l’autre, constate Fabrice Jaubert, responsable du bureau de Montréal de Google.

GESTION DES TALENTS. Si les microcultures permettent une collaboration plus authentique entre les membres et contribuent à les mobiliser, elles peuvent également créer une fracture organisationnelle si elles diffèrent trop l’une de l’autre.

C’est ce qu’a observé Fabrice Jaubert, celui qui est aujourd’hui responsable du bureau de Montréal de Google, au cours de la dizaine d’années où il a participé au programme TeamDev. Cette initiative du géant californien de la technologie sert à rendre ses équipes plus efficaces et productives grâce à l’intelligence collective de responsables des ressources humaines, mais aussi de joueurs externes à ce service, comme celui qui est aujourd’hui directeur du Service de développement de logiciel.

« C’était très intéressant, car je faisais des entretiens avec les différentes parties constituantes de l’équipe, desquels je tirais une espèce de synthèse de ce qui marchait bien et moins bien. On faisait des recommandations, puis on animait des ateliers. »

Fréquemment, il remarquait qu’au sein des projets auxquels contribuaient des équipes basées dans différents sites répartis un peu partout sur le globe, les microcultures et méthodes de travail respectives causaient des frictions. L’ADN de Google était toujours présent, mais la manière de l’interpréter et de collaborer différait, ce qui compliquait les échanges.

Des facteurs à surveiller

Il n’y a pas que le lieu géographique qui contribuait au phénomène, nuance Fabrice Jaubert. Parfois, c’était la manière que l’équipe avait été constituée ou les traumatismes que ses membres avaient vécus collectivement qui alimentaient cette division.

« Lors d’amalgame forcé d’équipes qui venaient de parties différentes et qui avaient des missions différentes, certaines gardaient un ressentiment. Ça modifiait leur façon de réagir et ça formait cette microculture que les autres ne comprenaient pas trop. »

Julie Lajoie, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) et consultante à Joie conseils, fait le même constat. Elle remarque également d’importants écarts entre les microcultures lorsque les organisations grandissent rapidement, notamment lors d’acquisition. « Le défi, c’est lorsqu’il n’y a pas d’alignement clair dans une organisation, que les gens ne sont pas habitués à collaborer, ou encore lorsqu’on rencontre des profils de gestionnaires très différents », énumère-t-elle.

Loin d’être anecdotique, ce phénomène doit être traité avec sérieux par la direction pour atténuer cet écart et éviter qu’il ne se creuse davantage, ce qui pourrait plomber la collaboration entre les équipes, les services ou les bureaux concernés.

« C’est commun dans ma pratique d’entendre le « nous contre eux » d’une équipe à l’autre, d’un gestionnaire à l’autre. La culture, c’est vivant, rappelle-t-elle. Quand il y a trop de différences, c’est difficile de générer un sentiment d’appartenance. Dans le pire des cas, l’employé a l’impression que les autres équipes font carrément partie d’autres entreprises. »

Corriger le tir

Les entreprises doivent faire preuve d’une saine gouvernance de leurs microcultures pour s’assurer qu’elles évoluent toutes dans la même direction. Cette responsabilité revient habituellement au service des ressources humaines en partenariat avec les gestionnaires intermédiaires qui sont aux premières loges, observe Josyanne Villeneuve, CRHA et fondatrice de l’entreprise de services-conseils Main dans la main. « On devrait avoir des lectures terrain ponctuelles pour vérifier qu’il n’y a pas de fragmentation organisationnelle. »

Pour ce faire, elle suggère de s’intéresser aux comportements des employés. « On va toujours observer un écart, mais on ne veut pas en voir de trop grands. Autrement, c’est peut-être signe que les coéquipiers ne comprennent pas la définition des valeurs de l’entreprise et des actions qui sont attendues. »

À Google, chaque partie était invitée à verbaliser ce qui achoppait, selon elle, mais aussi à saluer les différences qui contribuaient à la performance du projet.

« Ensuite, on élaborait ensemble une espèce de série de règles de base pour opérer, créant un vocabulaire commun. On se donnait aussi la permission de les rappeler aux autres, explique le responsable du bureau de Montréal. Au bout de six mois, quand on faisait un suivi, on nous disait presque toujours que ça avait aidé. »

Comme Google prenait de l’expansion rapidement, le travail était parfois à recommencer afin de s’assurer que les recommandations étaient toujours adéquates pour les nouveaux membres de l’équipe, et pour les adapter au besoin.

Le plus important, d’après Fabrice Jaubert, c’est de braquer les projecteurs sur les points de friction, et de reconnaître qu’ils sont tout à fait normaux. L’objectif n’est pas de tirer un trait sur les microcultures, mais bien d’établir des règles de base pour qu’elles coexistent sous le chapiteau de la culture générale de l’entreprise.

« Chassez le naturel, il revient au galop. On aurait tort d’empêcher les gens de fonctionner d’une certaine manière. C’est comme ça qu’ils se retrouvent, qu’ils sont motivés. On tue la créativité et l’innovation, résume-t-il. On doit toutefois encourager l’interaction de façon productive avec les autres. »