L’hypothèque légale pour des rénovations: un problème à régler
Jean Sasseville|Publié le 16 novembre 2022Les hypothèques légales de la construction sont présentes dans de très nombreuses ventes immobilières. Invisibles, dormantes, insoupçonnées, elles peuvent être bien dangereuses , mentionne Me Isabelle Sirois, avocate spécialisée en droit immobilier. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Un couple fait remplacer ses fenêtres et certaines sont mal installées. L’entrepreneur demande le paiement final et le couple exige la réparation des fenêtres défectueuses avant d’acquitter sa facture. Comme l’entrepreneur n’accepte pas de faire les réparations demandées, le couple refuse de payer.
L’entrepreneur envoie une mise en demeure informant le couple de son intention d’inscrire une hypothèque légale de la construction. Le couple pourrait contester devant les tribunaux. Parce que cette contestation peut coûter plus cher que le montant en cause, ils décident de ne plus retenir leur paiement. Ils devront ensuite engager un autre entrepreneur pour finaliser les travaux.
Une arme redoutable
Une hypothèque légale en faveur des personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble permet de protéger les sommes qui leur sont dues pour les travaux effectués.
L’hypothèque légale de la construction prend rang avant toutes les autres hypothèques grevant votre propriété, sauf quelques exceptions. Dans certains cas, cette hypothèque peut mener à une vente en justice, pour que la dette soit remboursée.
L’hypothèque d’une institution financière prend rang derrière les hypothèques légales de la construction. L’institution financière peut considérer l’hypothèque légale comme une cause de défaut au prêt hypothécaire.
Faille dans la loi
Les personnes intéressées à inscrire une hypothèque légale disposent de 30 jours, suivant la fin de tous les travaux, pour la faire publier au registre foncier et vous aviser de cette publication. Durant ces 30 jours et même avant ça, l’hypothèque légale existe, même si elle ne figure pas encore au registre foncier. Avant son inscription au registre foncier, elle ne laisse pas de trace.
Donc un consommateur qui achète une maison neuve ou récemment rénovée peut voir son immeuble surchargé d’une hypothèque légale de la construction pour une créance qu’il n’a pas contractée lui-même. Il risque de devoir acquitter les dettes de l’ancien propriétaire qui se trouve en défaut de paiement.
« Les hypothèques légales de la construction sont présentes dans de très nombreuses ventes immobilières. Invisibles, dormantes, insoupçonnées, elles peuvent être bien dangereuses », mentionne Me Isabelle Sirois, avocate spécialisée en droit immobilier.
« En plus des immeubles neufs, pensez notamment au vendeur qui a fait des travaux peu de temps avant de mettre en vente ou à la demande d’un acheteur dans le cadre de sa promesse d’achat. Les acheteurs sont à risque et ont besoin d’être protégés dans le cadre d’une vente immobilière. », ajoute Me Isabelle Sirois.
Solutions des notaires
La Chambre des notaires du Québec recommande de :
- Interdire la saisie d’une résidence principale pour une hypothèque légale de la construction de moins de 20 000 $;
- Interdire qu’une hypothèque légale de la construction puisse prendre naissance avant sa publication au registre foncier;
- Prévoir une date limite d’inscription d’hypothèque légale lorsque la propriété est vendue en cours de travaux;
- Prévoir que le vendeur doit obligatoirement déclarer les noms et coordonnées de ses créanciers, la liste des travaux à compléter et le coût des travaux qui n’ont pas encore été payés;
- Créer un tribunal administratif de l’habitation, à l’image du tribunal administratif du logement.
Solutions des consommateurs
L’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC) propose:
- D’interdire l’inscription d’une hypothèque légale de la construction pour une créance de moins de 15 000 $, le maximum admissible aux petites créances;
- Qu’une hypothèque légale ne permette plus la saisie d’un immeuble servant de résidence principale pour garantir le paiement d’une créance inférieure à 20 000 $;
- Qu’une hypothèque légale soit présumée abusive lorsque les travaux effectués par l’entrepreneur comportent des vices, des malfaçons ou ne respectent pas les règles de l’art.
Point de vue de l’industrie de la construction
Historiquement, il a été jugé qu’il était souhaitable de bien protéger ceux qui ont participé à des rénovations ou à la construction d’un immeuble.
Si les hypothèques légales pour les petits travaux sont interdites, les entrepreneurs voudront probablement obtenir d’autres garanties. Sinon, ils devront augmenter leurs prix vu le risque accru de mauvaises créances.
Une hypothèque légale de construction n’est pas systématiquement abusive. Mais je suis d’avis qu’il faut légiférer pour que les situations abusives cessent.
« Il n’est pas justifié que l’industrie de la construction ait cet avantage alors que toutes les autres entreprises doivent se tourner vers les tribunaux pour récupérer certaines mauvaises créances », souligne Marc-André Harnois, directeur général de l’ACQC.
Je trouve que mettre en garantie une résidence principale au complet me semble démesuré, particulièrement pour des créances de moins de 20 000 $.
« Est-ce que je paye 10 000 $ en frais d’avocat pour ne pas payer 5000 $ ou je cède devant l’entrepreneur? Le problème est qu’il est trop facile pour l’entrepreneur d’inscrire une hypothèque légale et qu’il est compliqué, long et coûteux pour un consommateur de s’en libérer », soulève Marc-André Harnois.
En 2018, Simon Jolin-Barrette s’est engagé, au nom de la CAQ, à revoir la législation pour mieux protéger les consommateurs. En 2021, il a mandaté la firme Raymond Chabot Grant Thornton pour analyser les impacts d’une abolition de cet outil pour les petits travaux sur les entreprises du secteur de la construction. Il y a eu une levée de boucliers de l’industrie.
Je souhaite que le gouvernement adopte des changements acceptables par toutes les parties.
Je vous invite à consulter mes articles précédents.