(Photo: 123RF)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je travaille fort, très fort même. Mais plus j’en fais, plus il y en a. C’est sans fin, et une peur commence à me prendre : et si, à force de redoubler d’efforts, je finissais par craquer…» — Laeticia-Hélène
R. — Chère Laeticia-Hélène, vous semblez aimer votre travail au point de donner votre 110%, et c’est tout à votre honneur. Mais, comme vous le présentez, il faut effectivement faire attention à ne pas en faire trop. Trop fort, trop longtemps. Car nous ne sommes pas des robots (enfin, pas aujourd’hui, peut-être demain, mais c’est là un autre sujet!).
Le psychologue américain Leon Seltzer s’est récemment penché sur le sujet pour le magazine Psychology Today. Il considère avec justesse que l’habitude d’en faire trop au travail est néfaste en ce sens qu’elle suit la loi des rendements décroissants. Cette dernière stipule qu’en faire plus permet toujours d’obtenir un meilleur résultat, mais cela ne peut pas être infini : au-delà d’un certain point, il ne sert à rien de travailler plus fort, cela n’apporte pas un meilleur résultat. Et on aura beau s’acharner, cela n’y changera rien. On ne fait dès lors que s’épuiser, en vain.
Prenons une image simple pour bien comprendre cette loi. Si vous marchez devant vous, vous allez progresser sur votre chemin. Si vous accélérez le pas, votre progression sera plus rapide. Si vous courez, elle sera encore plus enlevée. Mais si jamais vous vous mettez à courir à fond, vous aurez beau essayer d’en faire encore un poil plus, cela ne donnera rien : vous n’avancerez pas plus vite, et vous foncerez ainsi droit à l’épuisement, voire à la chute.
La question saute aux yeux : que signifie, au juste, «en faire trop»? Oui, où se situe le point de bascule entre un bon rythme de travail et un rythme de travail un peu trop élevé?
Pour s’en faire une juste idée, Leon Seltzer préconise de commencer par identifier les principaux signes pouvant indiquer qu’on en fait trop au travail.
— Sentiment d’échec tenace. On a beau donner le meilleur de nous-mêmes, on a la sensation de ne jamais atteindre tous nos objectifs.
— Stress intense. On se sent continuellement sous pression, parfois au point de se sentir carrément écrasé.
— Concentration capricieuse. On a du mal à se concentrer sur des tâches intellectuellement exigeantes, nos pensées ont la fâcheuse manie de vagabonder.
— Fatigue constante. On se sent souvent fatigué, sans énergie, à bout de nerfs. Et le soir venu, on peine à s’endormir.
— Bévues. On fait de plus en plus souvent des erreurs de jugement, on prend de plus en plus souvent de mauvaises décisions. Et on a du mal à le reconnaître.
J’imagine, Laeticia-Hélène, que vous vous êtes reconnue dans certains de ces points. C’est peut-être donc le signe que vous souffrez, comme le dit le psychologue américain, de «projectite aiguë». C’est-à-dire qu’à force de vous «projeter toujours plus en avant», vous finissez par vous montrer «contre-productive» (loi des rendements décroissants) et commencez à en souffrir (sentiment d’échec tenace, concentration capricieuse, etc.).
La solution? Une fois confirmée la «projectite aiguë», Leon Seltzer suggère de «faire preuve de gentillesse et de compassion» à son égard. Vous venez de découvrir que vous en faites trop, donc accordez-vous la possibilité d’en faire désormais un peu moins. Ralentissez, retrouvez un rythme de travail un peu plus normal, vous verrez que cela ne vous empêchera pas d’en faire quasiment autant que d’habitude, mais avec cet avantage que vous ressentirez un peu moins de stress, un peu moins de fatigue. Vous allez vous sentir mieux dans votre quotidien au travail, et considérez cela comme une belle et grande victoire.
Bien entendu, il convient d’en toucher deux mots à votre boss immédiat. Il ne faudrait surtout pas qu’il vous tombe sur le dos pour vous reprocher d’avoir levé un peu le pied. Expliquez-lui votre nouvelle stratégie, et au besoin faites-lui lire cette chronique. Qui sait? Il se mettra peut-être lui aussi à ralentir la cadence!
Bref, ralentissez progressivement jusqu’à ce que vous atteignez votre point de bascule, celui où vous affichez une belle productivité sans pour autant ressentir le moindre signe de «projectite aiguë». Et le tour sera joué!
En passant, le styliste américain Calvin Klein aime à dire : «Il faut savoir prendre son temps, ralentir, suivre son instinct et goûter la sensualité au quotidien. C’est l’essence même de la vérité.»