Marie-Anne Bazerghi, Valérie Larochelle, Quoc Dinh Nguyen (Photo: courtoisie)
Pour tout l’automne, Les Affaires vous présente SOLUTION START-UP, une rubrique dédiée aux jeunes entreprises innovantes du Québec. Vous découvrirez des entreprises qui ont franchi l’étape de l’«accélération». C’est un rendez-vous chaque semaine, tous les mercredis à 12h.
SOLUTION START-UP. «Mathématiquement, ce qui s’en vient, ça n’a pas de sens. Il va manquer de ressources. Le plus vieux baby-boomer aura 85 ans en 2031. Et s’il manque de ressources pour mon grand-père, pour ma grand-mère, il manquera un jour de ressources pour ma fille.»
Trois des quatre grands-parents de Valérie Larochelle souffrent de troubles neurocognitifs liés à la vieillesse. L’entrepreneure dans la trentaine sait donc de quoi elle parle lorsqu’il est question des impacts de maladies comme l’Alzheimer pour les personnes qui en souffrent, leurs proches et le personnel soignant.
Avec Quoc Dinh Nguyen, médecin gériatre au CHUM, et Marie-Anne Bazerghi, elle a cofondé Eugeria en 2018, une entreprise spécialisée en produits innovants qui peuvent aider à la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou autres troubles neurocognitifs.
«Je me dis que chaque bout d’innovation que nous pourrons faire, ce sont des ressources communes à la société», dit Valérie Larochelle en entrevue avec Les Affaires, quelques heures avant de s’envoler vers le Colorado pour participer à une grande conférence réunissant des représentants de résidences privées pour aînés.
Là-bas, elle y présentera Idem, la première grande innovation d’Eugeria, une horloge-calendrier connectée à internet, qui permet aux proches aidants de personnes atteintes d’Alzheimer de leur envoyer des messages, des rappels, des photos et de programmer des alertes, comme pour la prise de médicaments ou des rendez-vous.
«Les gens nous exprimaient le besoin d’entrer en communication, à distance et en temps réel, avec quelqu’un qui n’est pas très technologique et qui a une forme de trouble cognitif. C’est l’idée de l’horloge. On sait que ça fonctionne et que ça sécurise les gens. Ça réduit leur anxiété car ça les situe dans le temps», explique Valérie Larochelle à propos d’Idem, qui s’adresse aux personnes vivant avec les premiers stades de la maladie d’Alzheimer.
Jusqu’à présent, plus de 200 exemplaires d’Idem ont été vendus depuis son lancement il y a peu de temps.
Hypercroissance
Bien qu’Idem soit sa première grande innovation, Eugeria n’en est pas à ses premiers produits innovants. Depuis sa création, l’entreprise recense, importe et commercialise ce qu’il y a dans le marché pour venir en aide aux patients atteints d’Alzheimer ou autres formes de dégénérescence cognitive. Après en avoir fait une analyse approfondie. Près de 80% de son chiffre d’affaires se fait avec d’autres organisations, comme des résidences privées pour aînés ou des CHSLD. Le reste se fait en ligne directement avec les particuliers.
Et la demande ne fait qu’augmenter. Pas surprenant si on ne perd pas de vue que selon l’Institut de la statistique du Québec, le quart de la population aura plus de 65 ans en 2031. En 2065, ce sera le tiers.
Résultat: les revenus d’Eugeria sont passés en 2019 de 50 000$, à 350 000$ en 2020. Déjà en 2021, le cap du million de dollars (M$) était franchi avec 1,1M$ en revenus. En 2022? 4,4M$. Et selon les estimations de l’entreprise, l’année 2023 devrait se terminer avec des revenus entre six et sept millions de dollars. Près de la moitié de ce chiffre d’affaires se fait au sud de la frontière.
Eugeria importe notamment d’une entreprise des Pays-Bas ce qu’elle appelle la «table magique», de l’entreprise Tover, que sa grand-mère utilise elle-même dans son centre d’hébergement, confie Valérie Larochelle.
«C’est plus pour les gens qui sont dans un stade avancé de la maladie. C’est plus sensoriel avec de la lumière, de son, de la musique. Et qui réagit au mouvement des mains.»
Comme pour nombre de produits qu’Eugeria commercialise, cette dernière les adapte au marché québécois. «On a un rôle, une responsabilité, de l’adapter culturellement.»
Cela est d’autant plus important puisque vers la fin de la maladie, ce qui reste de la mémoire, des souvenirs, est souvent en lien avec la vingtaine, la trentaine. Des périodes marquantes de la vie d’une personne. Une prochaine version de cette table pourra aussi inclure des souvenirs plus personnalisés aux utilisateurs.
«Certains de nos produits ne sont pas “méga” technologiques, souligne Valérie Larochelle. Mais ils ont toujours une touche d’innovation où une étude quelque part nous a appris quelque chose sur cette maladie.»
Pour illustrer son propos, elle cite des assiettes de couleur, bleues, par exemple, qui peuvent jouer un rôle positif dans l’alimentation en mettant l’accent sur les contrastes.
«Une assiette blanche, avec de la nourriture blanche comme des patates ou du riz, pour une personne avec la maladie d’Alzheimer qui a une vision en tunnel, ça sera difficile de différencier les aliments parce qu’elle ne les voit pas comme nous. Pour notre entreprise, c’est de l’innovation.»
Parce que finalement, l’étincelle qui l’a poussé à fonder Eugeria vient davantage de son utilité pour les personnes âgées d’aujourd’hui et celles de demain. Et non purement sur ses capacités de développer de nouvelles technologies.
Un aperçu d’Idem (Photo: courtoisie)
«Je crois que tous les êtres humains ont droit à une qualité de vie. Dans notre société, on est en train d’innover sur beaucoup de choses, à peut-être une moins grande valeur ajoutée, alors qu’il y a une qualité de vie qui n’est pas possible en ce moment pour les gens qui vieillissent. Parce qu’on n’a pas assez innové. Souvent les solutions existent, mais on n’y a pas réfléchi.»
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