Quelles seront les répercussions des tarifs sur les voitures électriques chinoises?
François Normand|Mis à jour le 02 septembre 2024Le constructeur automobile chinois BYD vend un de ses modèles aussi peu que 13 000$US (17 547$CA). À titre de comparaison, la Nissan Leaf 2025 (un véhicule de base et moyen de gamme) se vend environ 41 748$ au Québec. (Photo: Getty Images)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Le tarif douanier de 100% qu’appliquera le Canada à partir du 1er octobre – comme les États-Unis – sur l’importation de voitures électriques chinoises donne le vertige. Certes, ce tarif protégera l’industrie naissante des batteries et des voitures électriques au pays, mais il entraînera aussi des conséquences négatives pour les consommateurs et d’autres secteurs, sans parler du risque d’affaiblir la capacité d’innover de cette industrie.
Selon les données de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le tarif moyen imposé par le Canada sur les différents produits importés oscille de 0,2% à 21,2%, avec l’exception notoire des produits laitiers (assujettis à la gestion de l’offre), alors que le tarif moyen s’établit à 205,7%.
C’est dire à quel point un tarif 100% est hors du commun.
Pour mettre les choses en perspectives, en 1939, avant la Deuxième Guerre mondiale et au sortir d’une décennie de protectionnisme mondial en raison de la Dépression, le tarif moyen sur les biens manufacturiers importés au Canada se situait entre 25% et 30%.
Revenons aux voitures électriques chinoises.
Le gouvernement d’un pays souverain peut toujours prendre les décisions qu’il souhaite.
Ottawa a décidé de s’aligner sur les Américains
En revanche, il doit tenir compte de sa géographie et du prix à payer. C’est sans doute pourquoi Ottawa a décidé d’appliquer un tarif de 100% sur les importations de voitures électriques fabriquées en Chine – nous imposions déjà un tarif de 6% sur ces véhicules.
Les États-Unis sont de loin notre principal partenaire économique et notre principal allié stratégique.
Depuis le premier accord de libre-échange entre les deux pays (le Traité de réciprocité, de 1854-1866), les chaînes de valeur sont de plus en plus intégrées de part et d’autre de la frontière, à commencer par le secteur automobile.
Des considérations politiques ont probablement aussi teinté la décision d’Ottawa.
Comme Donald Trump pourrait retourner à la Maison-Blanche en janvier, le Canada a préféré ne pas se mettre à dos l’ex-président républicain en alignant ses tarifs sur le taux américain.
Enfin, en imposant des tarifs de 100%, le premier ministre Justin Trudeau a aussi probablement voulu ne pas se mettre à dos de futurs électeurs dans l’industrie automobile de l’Ontario.
Le secteur privé est divisé
Ce niveau de 100% beaucoup est plus élevé que celui que proposait par exemple la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), soit dans une fourchette oscillant de 40% à 60%.
Selon l’organisme, son approche permettait d’assurer une saine concurrence au Canada, mais sans fermer complètement le marché canadien aux voitures chinoises.
La FCCQ disait aussi s’inspirer de l’approche de l’Union européenne, où les importations de voitures électriques chinoises sont déjà taxées à un taux 10%. Bruxelles propose un nouveau tarif qui pourrait grimper jusqu’à 38%, de sorte que la taxe totale à l’entrée pourrait atteindre 48%.
En entrevue à Les Affaires, Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), qui compte des membres dans l’industrie automobile et sa chaîne de valeur, dit appuyer l’imposition d’un tarif de 100% sur l’importation de voitures électriques chinoises.
«Nos membres sont partagés sur la question», précise-t-elle toutefois.
La décision d’Ottawa s’accompagne aussi d’un tarif de 25% sur les importations d’acier et d’aluminium chinois, dont le prix est plus bas que celui de ces deux produits fabriqués au Canada.
Or, des membres de MEQ achètent ces deux intrants en Chine pour manufacturer des produits finis qui sont ensuite exportés aux États-Unis. Ce tarif rend donc leurs produits moins attrayants sur le marché américain.
Ces intérêts divergents sont d’ailleurs représentatifs de l’incidence des tarifs douaniers sur une économie, car il y a des pour et des contre.
Les avantages des tarifs
Comme les voitures électriques chinoises seront taxées à 106% à compter du 1er octobre, les BYD de ce monde devront vendre leurs véhicules beaucoup plus chers au Canada.
Trois grands secteurs seront favorisés, deux directement et un indirectement.
Les deux premiers sont bien entendu les fabricants de batteries et de véhicules électriques au pays. La concurrence chinoise sera faible, ce qui permettra à ces deux industries de se développer, en Ontario et au Québec.
Le troisième secteur favorisé indirectement est l’industrie minière.
Ainsi, la filière de la 2e transformation des minéraux critiques et stratégiques (MCS), dont le lithium, le graphite et le nickel, profitera indirectement du tarif de 100%. On protégera les fabricants de batteries au Canada qui achèteront à terme leurs MCS transformés ici et non pas en Asie.
Par exemple, ce tarif favorisera la pérennité des futures usines de 2e transformation de Nouveau Monde Graphite (NMG) et de Nemaska Lithium, à Bécancour.
Les inconvénients des tarifs
Selon la littératie économique, les tarifs douaniers font grimper les prix pour les consommateurs dans une économie. Dans le cas qui nous concerne, les Canadiens ne pourront donc pas profiter des prix avantageux des voitures électriques chinoises.
Par exemple, le constructeur BYD vend un de ses modèles aussi peu que 13 000$US (17 547$CA). À titre de comparaison, la Nissan Leaf 2025 (un véhicule de base et moyen de gamme) se vend environ 41 748$CA au Québec.
C’est sans parler du fait qu’imposer un tarif de 100% risque aussi de retarder la transition énergétique au Canada (et ailleurs dans le monde), qui ne va pas assez vite, selon les spécialistes en environnement.
Comme mentionné plus haut, les tarifs pénalisent aussi les secteurs qui ont besoin d’importer des intrants – comme de l’acier et de l’aluminium chinois – pour ensuite exporter des produits finis aux États-Unis ou dans d’autres marchés étrangers.
Enfin, le gouvernement chinois pourrait contrattaquer en imposant à son tour des tarifs sur les importations canadiennes en Chine, notre deuxième marché d’exportation après les États-Unis.
Le mythe des industries naissantes
Depuis des siècles, on justifie l’imposition de tarifs pour protéger des industries naissantes. On donne souvent les exemples des États-Unis au 19e siècle, ou ceux de la Corée du Sud, de Singapour et de Taïwan, dans la seconde moitié 20e siècle.
Or, les statistiques montrent qu’on surestime l’incidence des tarifs dans le développement des tigres asiatiques après la Deuxième Guerre mondiale, selon Vincent Geloso, économiste senior à l’Institut économique de Montréal (EDM) et professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason, dans la région de Washington.
«Hong Kong s’est développé comme la Corée du Sud, Taïwan et Singapour, mais sans protectionnisme», insiste-t-il en entrevue.
Selon lui, en imposant des tarifs, les gouvernements s’arrogent le droit de choisir quels secteurs doivent être privilégiés et lesquels ne le sont pas. Or, il estime que le rôle de l’État est de créer les conditions favorables pour que le secteur privé innove, et ce, peu importe le secteur.
Il n’y a toutefois pas de consensus à ce sujet.
Par exemple, dans son essai «Mythes et paradoxes de l’histoire économique (Le Découverte, 1994)», le grand spécialiste de l’histoire économique Paul Bairoch (1930-1999) souligne que la phase protectionniste au Canada de 1890 à 1910 a entraîné l’industrialisation du pays.
Ce que font remarquer des économistes, c’est que l’industrialisation du Canada se serait probablement quand même réalisée sans l’imposition de tarifs douaniers.
L’esprit du GATT est mort
Chose certaine, avec des tarifs 100% sur l’importation de voitures électriques chinoises, nous sommes loin de l’esprit du GATT (l’Accord général sur les tarifs et le commerce, de 1948) puis de l’OMC, depuis 1995, pour libéraliser le commerce international.
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale , le GATT a contribué à réduire le protectionnisme qui avait presque paralysé le commerce international dans les années 1930.
De 1983 à 2003, la grande majorité de la diminution du protectionnisme a été le fait de pays qui, unilatéralement (mais parfois sous la pression du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale), ont ouvert davantage leur marché à la concurrence internationale.
Pourquoi? Parce que cette stratégie stimule l’innovation et la création de richesse.
L’économiste Razeen Sally explique bien ce phénomène dans l’étude Trade Policy, New Century : The WTO, the FTA’s and Asia Rising), qu’il a publiée en 2008 pour le compte de l’Institute of Economic Affairs.
Comment s’attaquer au défi de la Chine?
Depuis quelques années, la Chine représente un défi immense pour tous les pays industrialisés.
La deuxième économie mondiale fabrique des produits de plus en plus de haute technologie, et ce, dans la plupart des secteurs d’avenir comme l’intelligence artificielle, les énergies vertes ou les voitures électriques.
C’est pourquoi des pays occidentaux, comme le Canada, commencent à imposer des tarifs douaniers, car ils veulent leur part du gâteau.
Et si la solution ne passait pas exclusivement par des tarifs, mais par la délocalisation de la production chinoise… au Canada.
Ça pourrait être un compromis intéressant, qui a du reste déjà commencé, à petite échelle, avec l’ouverture d’usines de fabrication d’autobus électriques de BYD, en Ontario et en Californie.
Dans les années 1980, face au protectionnisme des États-Unis dirigés par Ronald Reagan, les constructeurs automobiles japonais – qui produisaient de petits véhicules à essence de qualité, moins énergivores et plus abordables – se sont mis à construire des usines aux États-Unis, mais aussi au Canada.
Cette stratégie a permis de créer des emplois locaux et de fournir des contrats d’approvisionnement à une foule de sous-traitants nord-américains, sans parler de réduire la consommation de carburant par kilomètre parcouru sur nos routes.
Cette concurrence locale japonaise a aussi forcé l’industrie automobile américaine et canadienne à s’adapter et à innover.
Le tout, sans imposer des tarifs exorbitants.